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3 décembre 2008

Le Grand Renfermement des Esprits: une société malade de ses dirigeants

« Je dois à mon âge avancé, écrivait le célèbre psychiatre François Tosquelles, mais surtout au long chemin que j'ai parcouru à la rencontre des pratiques psychiatriques, la sorte de confiance qui m'autorise ici à démêler tant soit peu les trois sortes de logiques dites historiques qui jouent un rôle différent dans l'enchevêtré de nos pratiques professionnelles.

C'est-à-dire, tout d'abord les histoires des événements tourbillonnants et discontinus que les soi-disant malades nous racontent, émiettés, parfois spontanément, souvent à notre demande. Puis l'histoire clinique que les soignants professionnels, ou conjointement des membres de l'équipe soignante, ré-élaborent et rédigent.

Il s'y agite encore une troisième sorte de parcours historique à prendre en compte. Celui qui concerne les mouvements du milieu social changeant qui nous enveloppe, notamment lorsque des événements soudains et très bouleversants surgissent en contrepartie du ronron des habitudes des uns et des autres.

On sait qu'il y a parfois de véritables crises spectaculaires et intempestives de l'histoire qui nous frappent alors de plein fouet. Elles nous surprennent et, en fait, infléchissent nos périples. Ces tempêtes jouent un rôle parfois très fécond qui modifie notre vie quotidienne. Et je dois dire ici que ces tempêtes historiques modifient même nos systèmes de soins en place. Tout au moins ces grands chambardements nous révèlent à tous la préexistence souvent sournoise et toujours dialectique de l'histoire. Le calme plat de toutes nos navigations vitales ne s'éternise jamais nulle part.

On ne peut pas confondre - comme on le fait souvent - les processus dialectiques de l'Histoire (dont les paramètres ont été consignés d'abord par Héraclite, puis ponctués par Hegel, voire surtout par Engels plutôt que par Marx) avec les enchaînements verbaux des discours que les hommes entretiennent entre eux.

Il y a abus et détournement, souvent intéressé, de la dialectique au bénéfice du dialogue verbal. Aristote, en face des sophismes versés dans le champ vital des hommes - disait-il à l'époque - par les politiciens séducteurs, dota les suites verbales qu'ils entretiennent entre eux d'un cours logique formel très précis: les syllogismes hors de quoi la pensée déraille.
Soit dit en passant, Aristote était médecin, né d'une famille de médecins. Les ruses de l'histoire ont amené à le présenter comme un philosophe. Alors qu'il pratiquait surtout des recherches anatomiques sur des animaux divers, il a pu dire que l'homme était un animal politique, dont il convenait d'écarter les illusions, les mensonges et les fabulations. La politique devint avec lui une analytique du réel. »

                                François Tosquelles  in De l'histoire et des histoires dans les pratiques psychiatriques.

 

« On a beaucoup dit de la psychiatrie ou de la psychothérapie institutionnelle que les grands inspirateurs étaient Marx et Freud. Si on a fort peu dit à propos du désaliénisme, c'est simplement qu'on a fort peu parlé de celui-ci.

Au regard des deux sources du mouvement désaliéniste, on peut se réclamer de la psychanalyse comme du marxisme, sans devenir pour autant un désaliéniste accompli. Il est bon que me revienne ici un écho, qui me permet d'ouvrir mon propos : "Peu nous importe que l'on tire quelque parti que ce soit des intelligences les plus subversives, puisque leur venin merveilleux continuera de s'infiltrer éternellement dans l'âme des jeunes gens pour les corrompre ou les grandir" (Manifeste Surréaliste de 1927).

Dans le riche ensemble des sources du mouvement désaliéniste, il convient de donner sa juste place à la leçon poétique, particulièrement à la leçon surréaliste. Lautréamont le disait : "La poésie doit avoir pour but la réalité pratique", et "Il n'y a rien d'incompréhensible".

            Lucien Bonnafé

Lors d'un déplacement dans une unité de soins spécialisée à Antony, dans les Hauts-de-Seine, le président de la République a annoncé la mise en oeuvre d'un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques d'un montant de 30 millions d'euros, auxquels s'ajouteront 40 millions pour la création de quatre unités pour malades difficiles (UMD), portant ainsi à neuf leur nombre sur le territoire français. Le plan comprendra notamment une sécurisation des établissements psychiatriques, une réforme de l'internement d'office et l'instauration d'une obligation de soins "effective".

Il est peu probable que le président de la République ait entendu parler  de François Tosquelles ou de Lucien Bonnafé. Il est encore moins probable qu’il ait lu l’excellent article publié par Claude Mohat (La psychiatrie dans tous ses états ! Lien Social, Publication n° 738 du 27 janvier 2005) et dans lequel celui-ci écrivait avec justesse, au lendemain d’un autre crime commis dans l’enceinte de l’hôpital psychiatrique de Pau : « Bien sûr les spectres de François Tosquelles et de Lucien Bonnafé, psychiatres désaliénistes et animateurs de la psychiatrie institutionnelle, hantent les esprits de ceux qui souhaitent conserver à la folie son visage humain. Mais ces résistances paraissent tellement isolées et fragiles. « The time is out of joint » dit Hamlet. « … le temps est désarticulé, traqué et détraqué, dérangé, à la fois déréglé et fou » traduit Jacques Derrida qui ajoute : « Time : c’est le temps mais c’est aussi l’histoire, et c’est le monde. » (Le spectre de Marx, ed. Galilée). La folie n’est plus là où on la croit être. »

Les déclarations du Président en réaction au drame récent de l’hôpital de Saint-Egrève d’où s’est échappé un malade mental qui a peu après sa sortie poignardé un jeune homme font froid dans le dos. L’hôpital psychiatrique est en passe d’être enfermé à double tour. "En réalité, comme l’écrivait Claude Mohat, le crime de Pau n’est qu’une « réplique » du crime commis par les politiques sur la psychiatrie. " Aussi horrible soit-il, le crime de Saint-Egrève en conforte la démonstration : la leçon n'a pas été comprise. Mais désormais, le médical est évacué au nom de l’ordre politique. Le « malade mental » devient un délinquant. Je n’invente rien qui n’ait pas déjà été dit. Continuons avec Claude Mohat : " Quelques médias de masse, des chaînes de télévision et des grands quotidiens aux mains de groupes d’industriels, planifient et organisent le grand renfermement des esprits (Ignacio Ramonet, Le Monde diplomatique, Janvier 2005). Par son côté spectaculaire, le double meurtre de Pau a servi une mise en spectacle de l’information et une poussée d’émotions qui ne servent en rien le dévoilement de ce qui se trame dans la société contemporaine. Le pouvoir policier qui s’introduit partout, dans la famille (couvre-feux, suppression des allocations familiales, invalidation du rôle parental), dans l’école (plus de 8000 policiers et gendarmes mobilisés devant près de 1200 établissements scolaires le jeudi 6 janvier 2005) dans la psychiatrie (caméra et bip de sécurité à l’intérieur des hôpitaux), est aux ordres d’une puissance politico-économique qui a besoin d’un monde débarrassé du « facteur humain », comme l’explique fort bien le professeur Francis Fukuyama, chantre du Capitalisme nouveau (La fin de l’homme, ed. poche Folio) (lire l’interview de Nathalie Przygodzki-Lionet). Les politiciens et leurs sbires se font les exécuteurs d’une société à « tolérance zéro » et à « zéro défaut » où, mis sous Prozac et autres molécules chimiques ou conditionnés par la télévision pour être, comme l’a écrit Patrick Le Lay, un cerveau disponible à la consommation des produits de Coca-Cola, les citoyens sont privés de tout libre arbitre. Et tout se passe comme s’il n’y avait plus de conscience intellectuelle et poétique pour ramener la société à un peu plus de raison. Le bon sens est du côté de ceux qui se plient sans broncher au nouvel ordre moral et non plus du côté de ceux qui questionnent les évidences.’

Pouvoir sécuritaire, médecine en général et médecine psychiatrique en particulier n'ont jamais fait de bons mélanges. Quand verrons-nous un dirigeant politique ayant suffisamment de recul pour comprendre qu'une société qui ne va pas bien -une société malade de ses angoisses et de ses peurs - a beaucoup plus besoin d'être écoutée et rassurée que d'être enfermée?

 

Sources :

 

http://www.psychiatrie-desalieniste.com/imprimer.php3?id_article=30

http://www.lien-social.com/spip.php?article73&id_groupe=7

http://www.lire-lucien-bonnafe.org/index.php?cat=6portrait

 

 

 

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