Le Grand Renfermement des Esprits: une société malade de ses dirigeants
« Je dois à mon âge avancé, écrivait le célèbre psychiatre François Tosquelles, mais surtout au long chemin que j'ai parcouru à la rencontre des pratiques psychiatriques, la sorte de confiance qui m'autorise ici à démêler tant soit peu les trois sortes de logiques dites historiques qui jouent un rôle différent dans l'enchevêtré de nos pratiques professionnelles.
On sait qu'il y a parfois de véritables crises spectaculaires et intempestives
de l'histoire qui nous frappent alors de plein fouet. Elles nous surprennent et,
en fait, infléchissent nos périples. Ces tempêtes jouent un rôle parfois très
fécond qui modifie notre vie quotidienne.
On ne peut pas confondre - comme on le fait souvent - les processus dialectiques de l'Histoire (dont les paramètres ont été consignés d'abord par Héraclite, puis ponctués par Hegel, voire surtout par Engels plutôt que par Marx) avec les enchaînements verbaux des discours que les hommes entretiennent entre eux.
Soit dit en passant, Aristote était médecin, né d'une famille de médecins. Les
ruses de l'histoire ont amené à le présenter comme un philosophe. Alors qu'il
pratiquait surtout des recherches anatomiques sur des animaux divers, il a pu
dire que l'homme était un animal politique, dont il convenait d'écarter les
illusions, les mensonges et les fabulations. La politique devint avec lui une
analytique du réel. »
François Tosquelles in De l'histoire et des histoires dans les pratiques psychiatriques.
« On
a beaucoup dit de la psychiatrie ou de la psychothérapie institutionnelle que
les grands inspirateurs étaient Marx et Freud. Si on a fort peu dit à propos du
désaliénisme, c'est simplement qu'on a fort peu parlé de celui-ci.
Au regard des deux sources du mouvement désaliéniste, on peut se réclamer de la psychanalyse comme du marxisme, sans devenir pour autant un désaliéniste accompli. Il est bon que me revienne ici un écho, qui me permet d'ouvrir mon propos : "Peu nous importe que l'on tire quelque parti que ce soit des intelligences les plus subversives, puisque leur venin merveilleux continuera de s'infiltrer éternellement dans l'âme des jeunes gens pour les corrompre ou les grandir" (Manifeste Surréaliste de 1927).
Dans le riche ensemble des sources du mouvement
désaliéniste, il convient de donner sa juste place à la leçon poétique,
particulièrement à la leçon surréaliste. Lautréamont le disait : "La
poésie doit avoir pour but la réalité pratique", et "Il n'y a rien
d'incompréhensible".
Lors d'un déplacement dans une unité de soins spécialisée à Antony, dans les Hauts-de-Seine, le président de la République a annoncé la mise en oeuvre d'un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques d'un montant de 30 millions d'euros, auxquels s'ajouteront 40 millions pour la création de quatre unités pour malades difficiles (UMD), portant ainsi à neuf leur nombre sur le territoire français. Le plan comprendra notamment une sécurisation des établissements psychiatriques, une réforme de l'internement d'office et l'instauration d'une obligation de soins "effective".
Il est peu probable que le président de la République ait entendu parler de François Tosquelles ou de Lucien Bonnafé. Il est encore moins probable qu’il ait lu l’excellent article publié par Claude Mohat (La psychiatrie dans tous ses états ! Lien Social, Publication n° 738 du 27 janvier 2005) et dans lequel celui-ci écrivait avec justesse, au lendemain d’un autre crime commis dans l’enceinte de l’hôpital psychiatrique de Pau : « Bien sûr les spectres de François Tosquelles et de Lucien Bonnafé, psychiatres désaliénistes et animateurs de la psychiatrie institutionnelle, hantent les esprits de ceux qui souhaitent conserver à la folie son visage humain. Mais ces résistances paraissent tellement isolées et fragiles. « The time is out of joint » dit Hamlet. « … le temps est désarticulé, traqué et détraqué, dérangé, à la fois déréglé et fou » traduit Jacques Derrida qui ajoute : « Time : c’est le temps mais c’est aussi l’histoire, et c’est le monde. » (Le spectre de Marx, ed. Galilée). La folie n’est plus là où on la croit être. »
Pouvoir sécuritaire, médecine en général et médecine psychiatrique en particulier n'ont jamais fait de bons mélanges. Quand verrons-nous un dirigeant politique ayant suffisamment de recul pour comprendre qu'une société qui ne va pas bien -une société malade de ses angoisses et de ses peurs - a beaucoup plus besoin d'être écoutée et rassurée que d'être enfermée?
Sources :
http://www.psychiatrie-desalieniste.com/imprimer.php3?id_article=30
http://www.lien-social.com/spip.php?article73&id_groupe=7
http://www.lire-lucien-bonnafe.org/index.php?cat=6portrait