Et la vertu sauvera le monde... Après la débâcle financière, le salut par l’« éthique »?, écrivait Frédéric Lordon, économiste (Raisons d’agir, 2003).
Les escroqueries sont éternelles, témoin le dernier désastre financier de Bernard L. Madoff Investment Securities LLC
et de son dirigeant, Bernard L. Madoff, la « légende de Wall Street »,
le pontife du marché électronique Nasdaq dont il fut PDG…, auteur
présumé de malversations ayant révélé une fraude chiffrée semble-t-il à
50 milliards de dollars, arrêté, mais libéré après versement d’une
caution de 10 millions de dollars (le 5000ème du montant
évanoui). On respire…Un record français vient de tomber. Mais de
manière beaucoup plus intéressante, ce que l’on appellera désormais
« l’Affaire Madoff » pose des questions passionnantes sur l’histoire
économique d’une planète financière qui n’a toujours rien vu, toujours
rien compris, et pour laquelle il est évident que la crise actuelle
n’est qu’un incident de parcours après lequel tout repartira comme
avant. Alors, stop ou encore ? Conservons une Rock’n’Roll attitude.
Quelques balises sont pourtant nécessaires :
Ce
que l’on peut appeler la « finance Ponzi » ou les « Chaînes de Ponzi »
n’est jamais plus qu’une opération de « cavalerie » classique, laquelle
se résume à offrir des retours sur investissements en utilisant
des fonds frais apportés par de nouveaux clients souscripteurs,
construisant ainsi de manière imagée et beaucoup plus exacte une
pyramide qui finit mathématiquement par s’effondrer. Dans l’affaire qui
nous préoccupe et qui n’est pas loin de fusiller l’ensemble des places
financières encore valides, on propose de considérer deux paramètres,
deux pistes de réflexion :
-Un paramètre économique,
ce fameux « moment Minsky », du nom de l’économiste américain qui a
défini ce point où les investisseurs surendettés sont contraints de
vendre en masse leurs actifs pour faire face à leur besoin de
liquidité, déclenchant une spirale de baisse auto-entretenue du prix de
ces actifs et par voie de conséquence un assèchement de la liquidité.
Nous y sommes. C’est en effet Hyman Minsky qui proposa en 1977, « avant
le tumulte de la globalisation, un triptyque explicatif des
bulles spéculatives, montrant comment la hedge finance
– composée d’acheteurs « prudents » – s’empare la première de
l’innovation financière, fixant un stade où l’investissement et les
intérêts sont (normalement) couverts, puis cède la place à la speculative finance – composée de spéculateurs – laquelle détermine un deuxième stade où seuls les intérêts peuvent être payés puisque
les flux sont insuffisants pour rembourser le principal, « jusqu’à ce
que la finance Ponzi – fraudeurs en pyramide – sonne le glas puisque les cash flows, inférieurs aux intérêts et au principal, imposent un refinancement impossible par la dette. » (Marcaragon, op. cit).
-Un paramètre social,
lequel découle directement du précédent, et qui pose l’interrogation
majeure du devenir et du bien-être financier de la société française
toute entière, toutes générations comprises, à un horizon qui se
rapproche dangereusement et qui voit se dessiner, entre autres, le
spectre de l’impossible financement du système des retraites et
pensions par répartition dans lequel les anciens cotisants, devenus papy boomers,
sont censés être financés par les nouveaux, lesquels, invités à
travailler plus pour gagner plus, aimeraient tout simplement commencer
par entrer sur le marché du travail et y être décemment payés.
Le
débat est donc ouvert, ainsi que toutes les contributions utiles,
sachant que la croissance financière se développe sur des promesses de
rendement élevé sur des produits hyper risqués, aux modélisations
informatico-mathématiques de plus en plus sophistiquées et totalement
incontrôlables tant les ramifications entre les contrats d’assurance et
les produits de titrisation d’actifs endettés se sont complexifiées à
une hauteur inintelligible.
« Fondamentalement,
la fraude était déjà dans l’oeuf néo-libéral », comme l’écrit très
justement le commentateur d’un article du quotidien Libération (voir
source ci-après) dont je cite le propos. D’aucuns parlent de bulles,
mais la seule chose bien réelle dans ce monde fantastique qu’est la
spéculation, c’est le ratio salaires/profits dans les PIB mondiaux :
les salaires baissent et les profits du monde entier ont augmenté
jusqu’à l’in(dé)chiffrable. Comment réagiront les masses plus ou moins
dociles lorsqu’elles n’en pourront plus , ce qui est déjà le cas ? Que
dire aux ménages surendettés, aux familles en difficulté, aux jeunes
qui se retrouvent au chômage et sans perspective d’avenir ou d’espoir,
ou encore à ceux dont le compte bancaire (quand ils en ont encore un)
passe dans le rouge ? Comment vont réagir ces "classes moyennes" qui
sentent de moins en moins confusément qu’elles vont littéralement
morfler à brève échéance ?Voilà des questions qui doivent (devraient ?)
agiter en ce moment les personnels politiques du monde entier., de
l’Europe en général et de la France en particulier. En effet, il est
plus difficile de produire des modélisations mathématiques sur la
croissance des conflits à venir que sur des profits gagés sur
l’endettement exponentiel des uns et des autres.
"Je pense, disait Thomas Jefferson, fin observateur du capitalisme naissant de la jeune République américaine, que
les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que
des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un
jour que des banques privées contrôlent leur monnaie, les banques et
toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les
gens de toute possession, d’abord par l’inflation, ensuite par la
récession, jusqu’au jour où leurs enfants se réveilleront, sans maison
et sans toit, sur la terre que leurs parents ont conquis."
Thomas Jefferson, 1802
Bonnes feuilles, bibliographie et sources :
Frédéric Lordon. Le Monde Diplomatique, septembre 2007 - « Quand la finance prend le monde en otage » - http://www.monde-diplomatique.fr/2007/09/LORDON/15074
Sur les pyramides de Ponzi, voir :
http://www.paperblog.fr/519706/les-pyramides-de-ponzi/ , un excellent article publié le 17 février 2008 par Marcaragon
Sur Hyman P. Minsky, 1919-1996, voir le compendium de son œuvre sous :
http://cepa.newschool.edu/het/profiles/minsky.htm
Voir aussi :
J
ohn Cassidy, « The Minsky Moment » [archive], The New Yorker
Justin Lanhart, « In Times of Tumult, Obscure Economist Gain Currency » [archive], The Wall Street Journal, 18 août 2007
Gilles Dostaler, 2007, Hyman Minsky et le capitalisme rongé par l’instabilité financière, Alternatives économiques, n°258 mai 2007
Citation http://www.liberation.fr/economie/0102305313-reaction-sur-apres-l-escroquerie-de-bernard-madoff-la-planete
Sur les Etats-Unis, l’excellent site :
http://etudes.americaines.free.fr/TRANSATLANTICA/2/intro_jr.html